A política é a arte de mentir...La politique c’est l’art de mentir...

Publié le par Rosario Duarte da Costa

http://www.africansuccess.org/visuFiche.php?lang=fr&id=903

 

“A política é a arte de mentir tão mal

que só pode ser desmentida por outros  políticos.”

(Mia Couto) –Mozambique

 

“La politique c’est l’art de mentir si mal

qu’elle ne pourra être démentie que par d’autres politiques »

(Mia Couto) –Mozambique

Traduction: Rosario Duarte da Costa

Copyright

16/08/2012

 

Mia Couto: oublier la guerre?

Le plus célèbre des écrivains du Mozambique revient sur la guerre civile qui a déchiré son pays dans «L’accordeur de silences». Dix ans après son inoubliable «Terre somnambule».

Mia Couto. © Pedro Soares

 

  

Avec Mia Couto, tout est histoire, et la minuscule s’entrelace avec la majuscule de l’Histoire de son pays natal, le Mozambique. C’est un «raconteur» qui vous parle,  comme il écrit ses livres, ou presque. L’écrivain d’ascendance portugaise, auteur, parmi bien d’autres, d’un roman inoubliable sur la guerre civile qui a déchiré son pays pendant 16 ans, Terre somnambule, revient en librairie avec L’accordeur de silences  (Métailié) dont le titre original en portugais est Jesus Alèm -et non pas Jérusalem, comme on a tendance à le lire trop vite.

«Je suis attaché à la notion de déterrioralisation»

Où se situe Jésus Alèm? Cet « au-delà de Jésus » ? Quelque part au Mozambique, loin de la grande ville, dans une sorte de réserve où un homme, brutalement veuf, s’est retiré avec ses deux fils, pour faire table rase du passé, créer un monde nouveau. Celui d’après les blessures intimes et collectives, dans un pays qui sort de la guerre.

Mia Couto ne donne pas d’indications historiques précises dans ce roman proche du conte, presque de la fable. Il confie avoir eu la tentation de mettre les notes, et finalement renoncé

«Je suis attaché à la notion de déterrioralisation.»

«Je ne cesse d’être aveugle que lorsque j’écris»

Mais le livre est bien ancré dans le réel mozambicain, et plus encore que ne pouvait l’imaginer son auteur en l’écrivant… « De fait, quelques temps après la sortie, raconte Mia couto, j’ai su qu’une famille du type de celle de mon roman, qui avait eu peur pendant la guerre, était venu vivre parmi les animaux. Et plus curieusement encore, il y a peu de temps, j’ai visité pour mon travail de biologiste une réserve où l’on m’a conseillé d’aller voir un homme, un chasseur, armé de son coupe-coupe, de son arc et de flèches. J’étais avec une équipe de télévision dont ce chasseur ne voulait rien savoir. Mais quand on lui a dit que j’étais un « raconteur d’histoires », alors il m’a proposé de revenir le lendemain, très tôt, à cet endroit du campement où viennent naitre les hyènes. En discutant avec cet homme, je finis par comprendre qu’il est aveugle. « Je ne peux pas voir, sauf quand je chasse me dit-il». J’avais écrit la même phrase au sujet de l’écriture dans mon livre ».

La voici : « je ne cesse d’être aveugle que lorsque j’écris ».

       Ainsi vont les récits de Mia Couto, toujours à la lisière entre réel et imaginaire, entre l’oral et l’écrit, dans ce trouble même qui  fait la matière de son œuvre. Et si, cette fois, l’inventeur de néologismes qu’on a même baptisé « mozambicanismes », semble écrire dans une langue plus sobre, ce n’est pas dû à sa nouvelle traductrice en français, Elisabeth Monteiro Rodrigues, mais à son désir de ne plus voir réduire sa littérature à ces fameux néologismes. « Je voulais montrer que ce que je souhaite, c’est raconter une histoire, et que cette réinvention des mots appartient à la création poétique. »

J’ai vécu un dilemme moral

Ecrire pour y voir plus clair, et peut-être prendre peu à peu  la mesure de ce que les Mozambicains ont traversé pendant la guerre civile (1975-1992) à commencer par lui-même... Membre du Frelimo, ( Front de libération du Mozambique) Mia Couto  a survécu avec sa femme et ses trois enfants, nés pendant la guerre en se demandant encore comment. « La maison était en feu se disait-on. Ne devions-nous pas fuir? Mais la maison, c’était nous-mêmes. Tous les jours il fallait trouver à manger pour les enfants. J’ai vécu un dilemme moral.  En tant que membre du Frelimo, j’ai reçu une carte pour me ravitailler mais ce n’était pas pour ça que j’avais lutté,  alors j’ai refusé de m’en servir. Ma femme s’est fâchée en me disant que je n’avais pas le droit de mettre nos enfants en cause. Au final, elle-même l’a reçue en tant que médecin… On a réussi à manger. »

Le conteur-biologiste récolte autant d’histoires que de mots

       Puis ce fut le temps du journalisme, pour ce militant qui sourit aujourd’hui quand on lui parle d’objectivité, avouant tout simplement qu’il portait la parole du gouvernement. « C’était un temps épique, nous vivions dans la croyance de ce que nous devions faire, dans cette mobilisation totale pour l’indépendance du pays.  Ce sont des moments historiques, denses et courts. Quand ils se sont achevés, j’ai demandé à quitter le journal, mais on ne m’a pas donné ma démission. Je suis parti en 1985, et me suis mis à l’étude de la biologie, le métier que j’exerce aujourd’hui. »

       En sillonant son pays, le conteur-biologiste récolte autant d’histoires que de mots. Bien que portugais d’origine, il est né et il a grandi dans la même culture que les écrivains noirs de son pays, mais  lui ont manqué une grande famille tout autour, et surtout ces grands-parents qui font le lien avec le passé. Cette connexion, il l’a cherché dans tout le pays. Qui fut généreux.  Un jour – à  l’aéroport, il rencontre un homme qui  l’arrête et lui offre un mot de son crû : « improvisoire ». C’est dire que sa langue maternelle, le portugais s’abreuve à toutes ces richesses, aux sonorités des langues africaines (il parle le changana  ) aux images d’une culture dans laquelle il a grandi. En silence. Comme le jeune narrateur, Mwanito, le fils cadet de Sylvestre Vitalico, qui nous raconte la vie à  « Jesus Alèm ».

Au Mozambique, le silence fait  partie de la conversation

« En Europe, le silence n’a pas le même sens qu’au Mozambique. Il gêne,  alors que dans notre monde, le silence fait  partie de la conversation. » L’accorder, c’est créer la musique de la poésie et c’est dans les silences de l’enfant qu’il faut, si peu doté de sens pratique au contraire de ces frères, que le père de Mia Couto, poète lui-même a entendu et aidé à s’ épanouir  la parole poétique.

«L’écrit va résoudre l’identité du Mozambique»

« L’accordeur de silences » raconte aussi l’initiation d’un jeune garçon, isolé de tout, à l’écriture. Et c’est parce qu’il est convaincu que « l’écrit va résoudre l’identité du Mozambique » que Mia Couto continue sur le chemin du livre, dans un contexte d’oralité. Ce n’est pas la première des oppositions que ce blanc africain, athée dans un monde religieux, a connu.

« Au début cela me posait beaucoup de questions, mais j’ai transformé le fait d’être constamment  entre deux mondes en une situation privilégiée. »

       Le personnage de l’étrangère, portugaise, qui débarque dans la réserve où vit en quasi autarcie cette drôle de famille est à ce titre significatif.  Elle est venue en Afrique  à la recherche de son mari, qui n’est pas rentré du voyage. Sa vision du continent noir est pleine de fantasmes que l’écrivain égrène en forme de clichés.   

« Ce sont des stéréotypes,  que je ne partage pas précise-t-il en souriant. Mais j’ai voulu montrer que cette femme a la volonté de comprendre ce monde dont elle n’est pas. » La Portugaise fait la connaissance de sa rivale, la jeune Africaine dont son mari s’était épris,  et le dialogue se noue entre elles.

«Les hommes blancs veulent être absorbés par la beauté noire » lui dit l’Africaine. Et Mia Couto de commenter aussitôt :

«c’est si fréquent, ces expatriés  qui tombent fous amoureux d’une Africaine !»

Toutes les tentatives des hommes pour oublier

       Ce beau livre des deuils, et de toutes les tentatives des hommes pour oublier, qui  le lira au Mozambique? Si Terre somnambule  auquel il semble donner un écho, -mais l’un se situe dans un univers immobile tandis que le précédent se déroulait le long de la route-  a été reconnu en son pays, et classé au Zimbabwe à l’époque comme meilleur roman africain, l’écho de l’écrivain chez lui demeure un vrai problème. 

«Je cherche tous les moyens d’être publié en Afrique mais c’est une cause desespérée…A Maputo il n’existe que quatre maisons d’édition privées».

Mia Couto s’est associé à la première d’entre elle, cédant aux demandes répétées qui faisaient valoir l’importance de son nom et de son soutien….

 «Il y a des écrivains, mais pas de milieu littéraire, et c’est dramatique parce que ces jeunes frappent à ma porte et sont vraiment solitaires. »

Ce rôle d’aîné et de conseil, malgré lui,  le met en prise avec la création littéraire de la jeunesse mozambicaine.

«Ce que je lis est très différent de ce qu’écrivait  ma génération. Nous rêvions d’un nouveau monde, et puis la poésie était la première forme d’expression au pays. Eux s’expriment en prose, sont révoltés contre la politique et cherchent leur identité.  Ces jeunes écrivains me donnent beaucoup d’espoir».

              Curieusement, l’écrivain ne peut comparer ces auteurs en herbe à ceux du continent qui écrivent dans d’autres langues :

«Il y a bien un festival en Afrique du Sud, mais il faut dire que nous ne connaissons pas ce qui ce se fait d’une langue à l’autre en Afrique. C’est tellement dommage, pour savoir ce qui se fait, je dois aller en Europe chercher des livres en anglais que je ne peux trouver au Mozambique. »

Dans «l’Accordeur de silences », l’écrivain a ouvert sa bibliothèque, et ponctue ce livre de poèmes portugais et brésiliens parmi les plus beaux qui soient… Cette anthologie lusophone au coeur d’un Mozambique métaphorique donne encore une raison de ne pas passer à côté du dernier Mia Couto…

 Valérie Marin La Meslée

A lire aussi

 

 

Publié dans Auteurs Lusophones...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article