Dans le Livre de l’Intranquillité de Pessoa...
Dans le Livre de l’Intranquillité de Pessoa, ce texte m’a beaucoup
émue. En fait, l’auteur des hétéronymes encore une fois nous
montre sa facette poétique, philosophique, transcendantale, mystique,
…dans un langage simples que l’on peut faire lire facilement à
des gens de niveaux hétérogènes.
L’œuvre de F.Pessoa est si large, si profonde, si simple et autant
complexe, qui nous redonne envie d’y revenir même quand on l’a
déjà lu !
Copyright
26/11/2009
« Le voyage inaccompli »
La petite fille sait bien que sa poupée n’est pas réelle-or elle la traite
comme un être réel, au point de pleurer et d’avoir du chagrin quand
elle se casse. L’art de l’enfant consiste à tout déréaliser. Bénie soit
cette période chimérique de la vie parce que le sexe en est absent,
qu’on nie la réalité simplement par jeu et qu’on croit réelles les choses
qui ne le son pas !
Que je redevienne enfant et le reste à jamais, sans m’attacher à la valeur
que les hommes donnent aux choses, ni aux liens qu’ils établissent entre
elles. Quand j’étais petit, il m’arrivait souvent de poser mes soldats de
plomb la tête en bas…Et connaissez-vous un seul argument, d’une
logique capable d’emporter la conviction, qui me prouve que les soldats
réels ne devraient pas marcher la tête en bas ?
L’enfant n’accorde pas plus de valeur à l’or qu’au verre. Et, en réalité l’or
vaut-il davantage ?- L’enfant, obscurément, trouve absurdes les passions,
les colères et les peurs qu’il voit comme sculptées dans les actions des
adultes. Et ne sont-elles pas aussi absurdes que vaines, toutes sans
exception, nos craintes, nos haines et nos amours ?
Ô divine et absurde intuition de l’enfance : Vision-vérité des choses, alors
que nous les revêtons de conventions dans notre vision la plus nue, et que
nous les embrumons d’idées subjectives dans notre regard le plus direct !
Dieu ne serait-il pas un enfant, infiniment grand ? L’univers entier une
plaisanterie, une gaminerie de l’enfant espiègle ? Si irréel, si […].
Je vous ai lancé cette idée pour rire, et maintenant qu’elle se trouve loin
de moi, voyez à quel point j’en saisis subitement toute l’horreur ( et qui
sait pourtant si elle ne reflète pas la vérité ?). Et la voilà qui retombe à
mes pieds, et se brise en poussière d’horreur, en mille éclats de mystère…
Je me réveille sans savoir que j’existe…
Un ennui incertain et profond gazouille sa fraîcheur déplacée à mon oreille,
Depuis les cascades, là-bas derrière les ruches, au fond stupide de jardin.
Fernando Pessoa
In "Le livre de l’Intranquillité "
CascadeAuteur de la Photo: Armando Isaac www.olhares.comlAuteur: josé I. Costawww.olhares.com