Je me cache à ronger les doigts!

Publié le par Rosario Duarte da Costa




Je me cache à ronger les doigts!

J'ai cherché tes mains de pierre
dans la douleur
J'ai labouré l'amertume
dans le silence
                            de tes pas
Je me suis demandée si
l'amour est solitaire...

Et,
Je t'ai attendu
dans la chaleur de mes mots
Habillée de toute la lumière.

Puis,
J'ai compté les heures
mais tu n'es pas venu!

Alors,
J'ai pleuré des coquilles d'étoiles
Quand tu es venu
J'ai vu le paysage de tes yeux

Sitôt,
je me suis cachée
à ronger mes doigts!
Rosario Duarte da Costa
  (copyright)


Rainer Maria Rilke, le bon sujet

Ne parlez pas d’amour

Rainer Maria Rilke n’avait que 28 ans. 28 ans et déjà une œuvre derrière lui et des conseils à ceux qui veulent écrire dans ses Lettres à un jeune poète. « N’écrivez pas des poèmes d’amour... Evitez d’abord ces thèmes trop courants... Fuyez les grands sujets pour ceux que votre quotidien vous offre... Utilisez pour vous exprimer les choses qui vous entourent, les images de vos songes, les objets de vos souvenirs. »

 



Trop courant l’amour. Sujet trop grand. Pas d’amour dans les songes ni les souvenirs. Pas d’amour dans le quotidien, mais des petits sujets. Bon début pour un débutant. Dans mon quartier, sur ma route ordinaire, une femme pleure, livrée à son chagrin, seule. Pas de collègue masculin comme d’habitude. Pas de voiture à la mi-temps de la journée. Personne qu’elle et moi. Elle se croit seule, appuyée contre le capot d’une voiture, elle me voit arriver à pied, inquiète soudain, vite essuie les larmes de ses deux poings, comme une enfant, encore gantés. Pas le temps, pas pensé à libérer la main de ce qui sert à faire la circulation. Uniforme bleu et gants humides, le carrefour est vide. Rien qu’elle et moi. Regards qui se croisent. Je circule sans ordre, elle enfouit derrière moi sa tête chagrinée dans son uniforme de force de l’ordre. Le jour a pris un air fatigué. L’heure se penche et frémit. Un éclat métallique et clair. Visages muets, masques majeurs, monde pulvérisé. Les larmes des femmes se concentrent dans la forme de cette heure ordinaire. Comme la pluie au printemps tombent les larmes des femmes sur le sombre empire de la terre livrée aux armes. Je vois la première. Andromaque survivant à la prise de Troie et captive de l’ennemi qui a tué son mari et ruiné son pays. Je la vois parce que Racine a voulu que ses pleurs perdurent et s’épurent dans la douleur. Pas question d’en faire une nouvelle épouse, une nouvelle mère. Les larmes d’Andromaque n’impressionnent que si elles coulent pour toujours pour Hector et le fils d’Hector. Veuve définitive, elle ne sera pas la concubine de Pyrrhus, fils d’Achille et roi d’Epire, ni même l’épouse du fils du meurtrier de son époux. Epouse d’un infiniment mort, elle sera la cause de la mort de Pyrrhus et d’Hermione, livrant à la folie le cerveau fragile d’Oreste qui aime Hermione, qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime pleurer un mort. La chaîne du malheur bute sur la jouissance des larmes, seul bien que la princesse captive ait retiré de l’histoire de Troie. Seul butin de guerre des femmes. De l’amour et des larmes. La seconde vient à moi, vierge et désarmée. Les dieux ont décidé la guerre, et son père, Agamemnon est chargé de la faire. Sur le rivage, les vaisseaux des Grecs sont cloués au sol, piaffant d’impatience, armes rutilantes et chauffées à blanc à l’idée d’une gloire prochaine. Le temps s’immobilise, les voiles sont en rade et le vent paresse en attendant qu’on lui fasse plaisir. Un bon meurtre comme gage de croyance en la guerre nécessaire et nécessitant un bon augure, le mauvais sang d’une fille versé sur la rive immobile. Agamemnon devra sacrifier sa fille, Iphigénie, pour que la guerre de Troie ait lieu. Dieux, que la lumière est belle au quart d’une vie qui doit cesser d’être avant même d’être femme. Les épousailles avec la mort auront lieu sur la plage et la fraîcheur du sang s’écoulant sur la couche sablonneuse témoignera de la qualité de la victime. L’enfant pleure et donne du courage à son père, raisonneuse au nom de la raison d’Etat. Larmes d’adolescente sous bénéfice d’inventaire de guerre. Second rôle dans une histoire d’hommes en armes. Rôle en larmes, secondaire et capital comme la peine. Antigone, la troisième, trouve elle aussi que rien ne vaut la lumière du jour. Elle a peur du noir parce qu’elle est femme et encore jeune, espérant un hymen prochain. Ses deux frères, sang maudit d’Œdipe, se sont battus à mort, et l’un des deux n’aura pas droit à une sépulture humaine. Comme un chien, son cadavre devra rester exposé aux chiens et aux oiseaux. Inacceptable ! La jeune fille à mains nues gratte la terre et recouvre de poussière dérisoire un corps que le vent -ah ! il souffle, celui-là-, dépoussière. Action symbolique et fatale. Antigone sera punie et emmurée vivante, regrettant le soleil, œil du jour, lumière sacrée, mais pas plus que l’amour d’un frère, d’un père, d’un époux qui finissent dans le gouffre et le silence des cimetières. Les femmes prennent le relais de la guerre si belle qu’il faut la faire. Belle affaire d’hommes. Les femmes s’affairent autour du mort et savent que le beau n’est rien que le commencement du terrible. Hurlement terrible qui veut boire la nuit et le vent qui souffle ou qui paresse. Et si je criais maintenant, qui m’entendrait parmi la cohorte des anges ? Rome mise à sac, siège de Paris ou Stalingrad, Hiroshima désintégrée. Une génération après l’autre, elles ont pleuré. Il y a sûrement un degré de détresse que même les anges finissent par entendre depuis si longtemps, depuis le premier hurlement de la première mère, Hécube, reine de Troie, attendant le cadavre d’Hector, son fils traîné sous ses yeux pendant des jours comme un horrible trophée, privé de sépulture. Comprends-moi. Ceci est ma chair qu’il faut aider à passer de sa tombe à ce ciel que j’ai en moi, tout au fond de mes entrailles qui saignent. Comprends donc. Les étoiles ne cueillent pas l’abondance que portent les mains humaines. Muettes, elles traversent, comme par ouï-dire un visage pleurant. Troie, Stalingrad, Hiroshima, Paris, Rome. Instantanés tragiques d’un foyer central qui brûle au cœur des femmes. Pèlerinage incendiaire. Si je lève maintenant les yeux de mes livres, rien n’est dépaysant. Alger. Monde pulvérisé. Visage silencieux, masques tragiques. Une femme pleure au carrefour de ma vie ordinaire. Uniforme bleu, gants blancs et désormais mouillés de larmes derrière moi. J’ai écouté Rainer Maria Rilke. Je ne me suis pas retournée. Qui nous a retournés de la sorte, que nous ayons dans tous nos actes, l’attitude de quelqu’un qui s’en va ? Et comme sur la dernière colline qui lui montre encore une fois sa vallée tout entière, il se retourne et tarde, tels nous vivons, à chaque pas prenant congé.

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(Rosario Duarte da costa)

 

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